Chers auditeurs, Cette séance portera sur l’analyse du système international et sur ses évolutions dans l’espace mondial. Dans un premier temps nous apporterons des éléments de définition du système international, et interrogerons ensuite comment ce système peut être qualifié dans un contexte mondial contemporain marqué par de fortes interdépendances entre acteurs de nature multiples. Dans sa définition classique, Raymond Aron assimilait le système international au système interétatique comme étant, je cite, « l’ensemble constitué des unités politiques qui entretiennent entre elles des relations régulières et qui sont toutes susceptibles d’être impliquées dans une guerre générale ». Ainsi selon lui, le système international à travers cette définition classique est abordé à travers les rapports de force et une structure anarchique. Dans un contexte de guerre froide, cette définition évolue et s’analyse à travers le système de l’équilibre des puissances, notamment un système bipolaire organisé autour de l’affrontement des deux blocs, Est et Ouest. Après la fin de la guerre froide, ces typologies changent, évoluent et considèrent à la fois les systèmes unipolaires, bipolaires ou multipolaires. Cette définition connait donc une dernière évolution avec le renforcement du phénomène de la mondialisation et le rôle de plus en plus prépondérant et défiant joué par les acteurs transnationaux et non-étatiques. Le système international désigne désormais l’ensemble des sous-systèmes formé par des acteurs étatiques mais également non-étatiques dont les interactions sont suffisamment régulières pour que le comportement de chaque acteur soit un facteur nécessaire dans l’adaptation présidant au comportement des autres acteurs. Le système international est donc un système social qui n’est pas une donnée a priori mais qui est socialement construit par ces acteurs qui y agissent de manière interdépendante. Cette évolution du système a également contribué à rendre désuète la notion de polarité. Des phénomènes comme l’émergence de certaines puissances comme la Chine, l’Inde ou encore le Brésil, ont amené plusieurs auteurs à en analyser les effets sur le système international à travers un angle spécifique qui est celui de la polarité. Qu’est-ce que la polarité ? La notion de polarité a trait à la problématique réaliste de la répartition de la puissance entre unités étatiques plus ou moins nombreuses au sein d’un système international : unipolaire, bipolaire, multipolaire. Mais la polarité n’implique pas nécessairement une domination, parce que la notion de pôle désigne avant tout une certaine force d’attraction, qui suppose un mouvement d’adhésion en direction de la superpuissance et un comportement de bloc autour de ce pôle. Plusieurs analyses considèrent alors l’essor de ces puissances émergentes comme l’avènement d’un système dit « multipolaire », signalant la fin de l’unipolarité des États-Unis et la répartition de la puissance et de l’influence entre plusieurs pôles dont celui désormais formé par ces puissances émergentes. Cette analyse est à la fois donnée par des auteurs ou des acteurs de la gouvernance économique globale comme Robert Zoellick, ancien président de la Banque mondiale, qui considère l’avènement d’un monde multipolaire et notamment celui d’une « économie multipolaire » comme révélant l’existence de ces nouveaux pôles de croissance. Quant à l’angle d’analyse politique des relations internationales, il définit quant à lui l’avènement multipolaire comme un système international dans lequel les grandes puissances sont amenées à travailler de concert avec les puissances émergentes à travers des stratégies de réciprocité et de coopération ayant pour effet de stabiliser l’ordre international. L’analyse des évolutions de la polarité systémique sous les effets de l’émergence va de pair avec une analyse de la transformation de l’ordre international. L’émergence internationale est ainsi régulièrement interprétée à travers l’angle de la transformation de l’ordre international, et donc de la multipolarité, et cet ordre international désigne notamment l’ensemble des principes d’organisation qui régissent les rapports entre les nations et s’analyse soit comme une réalité tangible, soit comme un idéal à atteindre. Et selon toujours plusieurs analystes, les émergents participent à créer un « nouvel ordre mondial », voire un « désordre mondial ». L’émergence de ces acteurs a aussi pour effet de fournir à ces acteurs des ressources politiques de contestation de la légitimité de l’ordre international post-guerre froide et donc post-bipolaire. La rhétorique des émergents consiste à rappeler fréquemment les évolutions économiques et politiques post-guerre froide du système international, appelant à un changement des processus décisionnels dans les institutions internationales, afin de refléter au plus près ces nouvelles dynamiques. Pourtant, l’émergence internationale de certains acteurs, mais également la multiplicité et la multiplication des acteurs, participent aux différents processus de la gouvernance globale aux côtés des États, notamment les organisations internationales et régionales, les ONG, les villes, les multinationales, les médias, partis, et entrepreneurs religieux de toutes sortes qui favorisent davantage l’avènement, non pas d’un système multipolaire mais d’un système ‘apolaire’ , c’est-à-dire marqué par une absence de pôles, sous l’effet conjugué d’une crise de la puissance. Contrairement donc à un système international marqué par une concentration de pouvoir autour de plusieurs pôles, le système international est aujourd’hui influencé par une pluralité d’acteurs étatiques et non-étatiques qui défient la puissance. Le système international est donc aussi marqué davantage par une redistribution de la puissance entre ces différents acteurs, que par une concentration autour de ces pôles. L’émergence donc, comme phénomène international, participe aussi à la déconcentration de la polarité en favorisant une diplomatie contestataire au service d’une intégration internationale renforcée. Ce système international dans lequel nous vivons, résulte aussi de l’exacerbation des effets de l’unilatéralisme américain, dont les décisions unilatérales d’intervenir par exemple en Irak, la guerre coûteuse en Afghanistan, et les stratégies de contournement du multilatéralisme, mais également la crise financière et le déficit fiscal qui ont participé à la contestation de la puissance, et à l’émergence de forces alternatives d’influence. La contestation qui est faite par ces acteurs à l’égard des actions interventionnistes des puissants, notamment des États-Unis, passe alors par des stratégies d’obstruction, afin de défier ces États, tout en remettant en cause leur légitimité et autorité à agir à travers ces voies. Pour conclure, la mondialisation aboutit au renforcement des interdépendances et renforce l’apolarité du système international. D’une part, la majorité des flux sont transnationaux et s’établissent en dehors du contrôle des États et parfois à leur insu résultant en la dilution de leur influence. D’autre part, l’essor des flux commerciaux Sud-Sud participe, de ce fait, également à l’apolarisation du système, et à l’intégration d’autres puissances émergentes dans l’économie mondiale et donc à une dépolarisation progressive de l’économie mondiale, jusque-là dominée par les échanges Nord-Sud. Enfin, la mondialisation renforce la capacité des acteurs non-étatiques et enlève ainsi le monopole de la puissance à l’État. Elle renforce alors la nécessité d’une concertation multilatérale en éloignant les prises de décision unilatérales. Les puissances émergentes revendiquent principalement cette concertation multilatérale, et n’hésitent donc pas à adopter des stratégies de contestation qui obstruent les négociations exclusives entre puissances établies, comme cela a été illustré par exemple dans l’obstruction turco-brésilienne dans le dossier du nucléaire iranien, dominé jusque-là par les membres du P5 du Conseil de sécurité des Nations unies. L’apolarité favorise également l’essor des relations de compétition, c’est-à-dire alternant coopération et compétition, comme illustré dans l’action collective que mènent certaines puissances émergentes dans des groupes comme BRICS ou IBAS. Celles-ci contribuent à marquer la gouvernance par la formation de réseaux relationnels multi-acteurs et multi-échelles, à géométrie variable, encourageant alternativement consultation, coopération ou encore compétition, selon les enjeux et les intérêts. Je vous remercie.