[MUSIQUE] Nous venons de terminer cette troisième semaine, donc la règle, elle est connue maintenant, je vais vous poser quelques questions de précisions, quelques questions qui permettent de remettre en lumière des éléments extrêmement importants dans ce que vous venez de nous décrire. Vous parlez de la Banque mondiale, comme l'acteur principal, mais j'imagine que ce ne sont pas les seuls à travailler en Afrique sur les questions des quartiers précaires. Qui sont les autres? >> Alors dans le domaine du développement urbain, l'acteur majeur >> reste la Banque mondiale. Parce que, depuis le milieu des années 50, c'est-à-dire on était encore dans l'euphorie de la pleine croissance dans ces pays, avec l'exploitation et la mise en valeur de ressources énormes, gigantesques, on a lancé des programmes importants, et la Banque a aidé les pays à essayer d'anticiper les problèmes de résolution des demandes sociales, en mettant à disposition des parcelles. Et l'exemple le plus célèbre est naturellement celui du Sénégal, de Pikine, en 1952, on a commencé à lotir pour aider les populations à ériger elles-mêmes leurs constructions. Alors dans ce sens la Banque reste un acteur clé. Les états de plus en plus investissent, sur leurs propres ressources, mais ça coûte extrêmement cher ; s'appuient sur des coopérations multiples, généralement des coopérations bilatérales ; mais également le développement des partenariats sous le sceau du développement des organisations de la société civile, qui scellent les partenariats et qui aident, avec des actions ponctuelles, pour intervenir dans les quartiers. Mais ça reste marginal, par rapport à la complexité et à la demande de financements que cela demande par rapport aux projets de quartiers. Donc l'État, avec la Banque mondiale, et naturellement ses organismes ; il y a City Alliance, qui fait énormément de choses aujourd'hui, notamment en termes de planification stratégique, des communautés urbaines, qui définissent leurs plans de développement, qui définissent leurs projets, et qui vont à la recherche de financements. >> Et il y a aujourd'hui, dans le monde, un mouvement qui s'appelle, No eviction, donc zéro déplacement de population, c'est >> très présent en Asie notamment, où il y a des activistes qui sont au quotidien dans les bidonvilles pour éviter les déplacements, qu'en est-il en Afrique? Est-ce que ça existe déjà, ou est-ce que le déplacement de population est quelque chose qui est, somme toute, accepté par tous? >> Le déplacement de population n'est jamais accepté, la différence reste l'attitude des populations. Et généralement, elles adoptent la même attitude, c'est la résignation. Elles n'ont pas le choix, parce que les opérations de déguerpissement se font toujours, entre guillemets, dans la violence. L'État vient avec les forces de l'ordre. Il intime l'ordre aux populations de partir. Et ils sont déguerpis de force. Ce genre de mouvement a toujours eu une avance en Amérique latine, nous sommes, en Afrique, un peu en décalage par rapport à ces formes d'organisation de contestations ; mais on sent, quelque part, des signes. Je vous prends simplement un exemple, c'était celui de Nouakchott, il y avait un quartier qu'on appelait, Kijil Hakem, Kijil Hakem signifie, le défi au préfet. Le quartier s'est installé contre la volonté de l'autorité administrative, et il s'est donné le nom du défi au préfet. Donc ça veut dire que ces actions de défiances sont en cours, elles n'ont pas la même force, la même virulence que ce qui se passe en Amérique du Sud. Donc, généralement, ce sont les forces de l'ordre de l'État qui viennent chasser de force les populations, dans la violence, dans la protestation, mais elles finissent toujours par se résigner. Sauf dans le cas où ce sont des programmes qui prévoient des solutions de recasement, des solutions de relogement. Il y en a eu beaucoup, notamment dans le Maghreb, la Tunisie a éradiqué le phénomène des quartiers précaires et des bidonvilles, il n'y en a plus. Vous pouvez être pauvre, vous pouvez être mendiant, en Tunisie vous avez accès à un logement ou à un terrain. Et c'est bientôt le cas au Maroc, avec la fin du programme qui a eu lieu, entre 2004 et 2010, où on a réglé pratiquement, la question des quartiers précaires, dans un programme qui s'appelait, Ville sans bidonvilles. Et nous avons bon espoir que beaucoup de pays d'Afrique subsaharienne s'inspirent de ces exemples et travaillent dans la durée en concevant des projets, des projets intégrés, des projets réfléchis, et qui ne demandent que cela pour être financés par les organisations internationales qui interviennent sur ces questions. >> Vous parliez de violence, effectivement dès qu'il y a déplacement de >> populations, on a l'idée de cette violence, vous montrez des images de Douala mais, au contraire, je dirais que ça se passe relativement bien. Est-ce que c'est la résignation des personnes? Est-ce que, finalement, les personnes ont cette compréhension qu'elles ne sont pas légitimes, et qu'elles ne vont pas se battre contre cette illégitimité? Mais dans d'autres contextes, dans d'autres lieux, sur d'autres continents sans doute, les images qui se déroulent sans heurts à Douala, ne seraient absolument pas possibles? » Les situations ne sont pas les mêmes. Mais j'ai le sentiment, comme vous, que lorsque l'intervention peut être considérée comme légitime, comme dans le cas de Douala. Alors de quoi s'agit-il? C'est les populations pauvres qui qui se sont installées sur des conduites de drainage. De drainage des eaux de pluie. Vous savez que Douala est une ville extrêmement arrosée, parce qu'elle reçoit entre 4 000 et 4 500 millimètres d'eau par an. Alors, si vous vous installez sur les circuits de drainage, vous courez des risques. Et, il faut le dire, l'administration doit prendre ses responsabilités dans ce cas de figure, à partir du moment où, chaque année, on enregistre des morts, on enregistre des dégâts. Donc, ces opérations, contestées par moment, sont choquant du point de vue de l'administration, parce qu'elle fait son travail. Mais du point de vue de populations, on peut toujours comprendre qu'un ménage pauvre refuse de se déplacer, même s'il occupe un terrain dangereux, même s'il court un risque ; cela reste du domaine de la légalité, du domaine du droit, qu'un État intervienne dans ce genre de situations. Par contre, on peut se poser des questions sur beaucoup d'autres opérations. Alors, c'est là où nous sommes appelés à réfléchir sur le sens de ces opérations. Est-ce que les motifs sont toujours ceux qu'on déclare? Est-ce qu'il n'y a pas des motifs inavouables? On met en avant des considérations sécuritaires, sanitaires, de lutte contre la pauvreté ; et c'est là où la question de la légitimité se pose ; dans le cas où des opérations de secours, des opérations de recasement, des opérations de logement ne sont pas programmées pour accompagner ce type d'opérations. >> Vous nous avez montré le programme au Sénégal, l'implantation de l'autoroute à Dakar, mais on voit dans les images que c'est une emprise colossale pour une autoroute ; ça veut dire que >> il y a des milliers de personnes qui sont déplacées, ça veut dire qu'on va couper des tissus urbains anciens existants, avec toute la société qui y vit, en deux. On va faire des grandes traces, et on sait que les pont qui passent sur l'autoroute sont de toute façon jamais suffisamment nombreux pour recoller ces quartiers. On sait que ça coûte, le financement est difficile, est-ce que on est encore dans des situations qui sont aujourd'hui viables? Est-ce que si on commençait le projet, si on réfléchissait aujourd'hui à ce projet, est-ce qu'on le ferait encore comme ça? Ou est-ce qu'on choisirait l'option, qu'on a notamment choisie à Karachi, où l'autoroute passe, sur pilotis, au-dessus des quartiers précaires. Alors visuellement on se dit, il y a une autoroute qui va passer sur nos têtes, d'un autre côté, il y a eu zéro éviction, on n'a déplacé personne. Et puis, on continue à avoir une vie sociale qui n'est pas coupée par une autoroute. Est-ce que ces projets, comme vous le présentez à Dakar, est-ce qu'on le ferait encore comme ça aujourd'hui? >> Je ne sais pas combien a coûté cette autoroute sur pilotis, mais ça me paraît, pour l'heure, extrêmement difficile à réaliser, dans le contexte de ce genre d'opérations, en Afrique. Pourquoi? J'ai dit tout à l'heure que ce sont des opérations qui coûtent extrêmement cher, et dont la réplicabilité, d'abord, en volume, mais aussi dans le temps, est difficile, pour les états, et pour les bailleurs. Ce genre d'opérations est toujours un montage complexe, où il y a plusieurs intervenants. On a eu, dans le cas du Sénégal, la coopération allemande, dans le cas de la Mauritanie, la coopération française, qui complètent le concours de la Banque mondiale, et les ressources sur les budgets propres des états. Alors, j'ai parlé de l'exemple du Sénégal, et, malheureusement, je n'ai pas beaucoup insisté sur le cas de l'autoroute. Merci de le signaler. Effectivement, sur ce quartier de Pikine, qui est l'un des tout premiers en Afrique, à être installé à 15 kilomètres du plateau de Dakar, et qui a continué à grossir aujourd'hui, pour devenir la seconde commune du Sénégal, 900 000 habitants, elle résume la situation de beaucoup de pays d'Afrique. C'est que la question de la gouvernance, dont on a parlé tout à l'heure, elle se retrouve dans cet exemple. Nous sommes toujours en train de courir derrière une situation urbaine. On cherche à rattraper une situation urbaine qui a échappé au pouvoir, aux pouvoirs publics. Alors on revient, avec ces opérations pour corriger, et la façon semble-t-il, pour corriger, c'est d'intervenir sur ces programmes lourds. Dans le cas du Sénégal, je ne dirais pas que c'était une obsession de l'ancien président Abdoulaye Wade, qui a lancé un grand chantier de constructions d'infrastructures au Sénégal, c'est une excellente chose, à côté de l'énergie, les infrastructures constituent un pilier du développement, et du développement des villes. Seulement, il suffit maintenant de voir, en fonction du projet, en fonction du quartier, en fonction de son impact, est-ce qu'on fait bien? Ou est-ce qu'on fait mal? Mais je dirai tout simplement que les outils d'encadrement de ce genre de projets existent ; je reviens encore à la Banque mondiale, avec des dispositifs extrêmement précis ; vous avez la Directive opérationnelle 4 point 12 qui concerne la réinstallation involontaire des populations, qui encadre strictement de genre d'interventions, dans le cadre de projets financés par la Banque mondiale. Donc vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez, en fait, mais on essaie d'atténuer les effets, les impacts des projets, en accompagnant les populations, et en espérant que au sortir du projet, leur condition soit meilleure qu'avant. >> Merci pour ces réponses. Et on se retrouve la semaine prochaine pour la dernière semaine de cours. >> Merci à vous. [AUDIO_VIDE]